So critique

Vidéo – Péripathétiscope-shaming

Aujourd’hui, j’ai décidé de prendre la plume pour parler du nouveau court-métrage des Parasites.

Tout d’abord, avant de parler de la vidéo, j’aimerais dire un mot sur ce collectif de jeunes vidéastes qui produisent des films à fort impact, avec un vrai point de vue, tentant de révolutionner la façon d’appréhender la différence, les relations entre les hommes et les femmes, et avec une vision souvent assez utopiste (je pense à la série Ferdinand et à la vidéo intitulée l’Emprunt). Ils sont d’ailleurs amis avec ET BIM ! (un autre collectif dont j’ai déjà parlé sur ce site) et se rejoignent de plus en plus dans leur manière d’aborder la création artistique.

Je vous laisse maintenant découvrir, si ce n’est pas déjà le cas, le court-métrage en question, M. Carotte – Lucie et le Périscope. Juste un petit avertissement avant votre visionnage : c’est assez violent et un peu graphique, donc soyez préparé. Il y a d’ailleurs un avertissement -16.

 

Maintenant que vous avez vu la vidéo, je peux commencer mon analyse, que je mènerai chronologiquement à l’avancée de la vidéo.

 

J’aime beaucoup l’introduction, quand le personnage principal lâche un parpaing sur une voiture qui se gare sur une place handicapée. Elle campe le personnage, à peine extrême. C’est quelqu’un qui a des principes, et qui cherche à agir contre des comportements qu’il juge inappropriés, mais la « punition » qu’il inflige à ce contrevenant est totalement démesurée. Et juste après, gros plan sur un livre contenant le mot « bienveillance » dans le titre. Ça installe l’ambiance.

 

Ensuite, il présente l’application Périscope en parlant au caméraman à la manière de Benoît Poelevoord dans C’est arrivé près de chez vous. Il montre d’abord quelques personnes au hasard puis tombe sur Lucie, une jeune femme qui présente ses sous-vêtements, à la manière d’une youtubeuse beauté, mais en live ; elle montre les sous-vêtements directement sur elle. M. Carotte la blâme immédiatement : il souligne son âge et indique qu’elle s’est géolocalisée. Il explique a l’équipe technique qu’elle est totalement inconsciente, et que si un psychopathe tombe là dessus elle risque gros. Il semble attristé que de tels comportements soient courants aujourd’hui chez les jeunes.

Une phrase met quand même la puce à l’oreille : « et le pire, c’est les gens qui regardent ». Pour cette réplique, le personnage regarde la caméra, et semble s’adresser directement au spectateur, comme pour le sonder : « est-ce que tu regardes, toi ? ». On a donc une critique simultanée des gens qui s’affichent et des gens qui regardent. Le personnage est pour l’instant assez amusant, même si on sent qu’il est un peu étrange dans ses manières de donneur de leçons. Mais rien d’extraordinaire pour l’instant… Bon, il est un peu contradictoire, puisqu’il condamne ce qu’il pratique lui-même : passer du temps sur une application comme celle-ci. S’ensuivent des scènes sans paroles qui donnent à voir un personnage de plus en plus inquiétant, et on voit bien qu’il prépare quelque chose par rapport à la fille de Périscope.

Il émet encore quelques petits commentaires pour critiquer la technologie moderne (avant on se rencontrait dans les lieux vivants, on est dépendants à nos appareils… il se détache complètement des gens qui ont ce comportement, comme s’il était au dessus.) On comprend bien le propos, ou en tout cas on pense le comprendre : la technologie, c’est dlamerd.

Puis vient l’agression, avec toujours le même refrain. « La fine fleur de la jeunesse française gangrenée par la technologie mise au service de l’individualisme. »

Encore une fois, les auteurs utilisent le recours à une réplique « c’est complètement primaire comme comportement » qui se lit ironiquement à la lueur des agissements du protagoniste.

Bon, après son acte, il se plaint qu’elle ait été vierge (moi la première chose que j’ai pensé c’est qu’elle avait ses règles mais bon) et honnêtement je vois pas vraiment ce que ça apporte au scénario. Ca ne rend pas l’acte plus cruel pour autant, il est déjà horrible.

Bon, ok, c’est établi, c’est un psychopathe. Finalement, il avait prévenu. Si un psychopathe tombait sur ses vidéos, il pourrait facilement l’atteindre. Il vient de le prouver. Mais du coup (je passe sur la fin de la vidéo) quel est le message le plus immédiatement lisible ? C’est : « montre pas tes seins, sinon tu vas te faire violer et tu l’auras bien cherché. » Peut-être n’était-ce pas le message voulu par ce court-métrage. En fait, j’en suis sûre, connaissant le collectif. Malheureusement, c’est le premier message, je pense, que vont en retirer une bonne partie des spectateurs. En plus, Lucie parle à ses viewers juste après le viol, ce qui paraît assez étrange d’ailleurs (d’un point de vue scénaristique), et on perçoit chez elle à travers cet acte une espèce d’addiction aux réseaux sociaux et à la mise en scène de sa vie. En deuxième lecture, un peu plus avisée, on peut y voir une vraie sincérité : Je n’ai pas à m’écraser, je fais ce que je veux, si j’ai envie de m’afficher, je m’affiche. En quelque sorte, une victoire de la liberté de Lucie face aux pervers. Remonter sur le cheval juste après une chute, et désolé si la métaphore est maladroite. Mais on ne peut s’empêcher quand même de lire son aliénation au regard d’inconnus, que ce soit ou pas ce qu’aient voulu dire les Parasites.

 

Et puis finalement, il est tellement classique aujourd’hui de voir des vidéos ou des articles qui critiquent l’usage des réseaux sociaux par les jeunes, l’égocentrisme des gens qui passent leur temps à raconter leur vie et à se montrer, que la première lecture évidente est : bien fait pour elle. C’est du slut-shaming (le fait de dire : si tu t’es fait violer, c’est normal, tu as mis une mini jupe).
Sauf que non, pas bien fait pour elle. Une femme n’est jamais responsable d’un viol.

Je comprends le message de ce court-métrage et je le trouve courageux, parce que justement il n’est pas évident. Le message évident, c’est exactement l’inverse. Sauf que du coup, je le trouve aussi extrêmement dangereux. Une grande partie des gens qui regardent youtube sont des adolescents, des jeunes, des enfants, même. Et ils risquent de n’en retirer que le message qu’ils comprennent au premier abord : elle n’avait qu’à pas montrer son soutif. Et ils risquent de reproduire ces schémas de pensée, parce qu’ils n’ont pas forcément les moyens de voir les choses autrement. Et ils risquent de critiquer les filles qui s’affichent sur internet en disant : voilà, elles veulent trouver un partenaire sexuel (j’ai failli être vulgaire mais la violence de la vidéo m’a suffi).

 

J’ai regardé cette vidéo en compagnie de deux hommes, et à la fin, j’ai dit : « Pourquoi ne pas avoir choisi une fille qui raconte juste sa vie, sans exhiber son corps ? Le message aurait été d’autant plus fort ! » L’un de mes amis m’a répondu : « Sauf que ça n’aurait pas eu de sens. Là, le protagoniste a choisi une punition à la mesure du comportement de la fille. Elle se montre, et il se dit : puisqu’elle a envie de chauffer tout le monde, allons jusqu’au bout. » C’est bien ça qui ressort du court. Elle se montre, conséquence, elle se fait violer. C’est dans l’ordre des choses.

 

J’aurais « préféré » voir, je pense, un garçon racontant des banalités vivre l’expérience de Lucie, dans cette vidéo. Alors bien sûr, je comprends bien que le message sous-jacent est de dire que c’est toujours le violeur qui a tort, et que la victime ne l’a jamais mérité, qu’elle a le droit de faire ce qu’elle veut. MAIS en choisissant un profil de victime différent, la lecture initiale de la vidéo aurait évité une conclusion du type : Ah, c’est parce qu’elle s’est montrée qu’elle s’est fait violer. Logique.

Les Parasites ne s’attendaient pas à ce que la lecture principale des viewers tourne autour de l’utilisation d’applications comme Périscope :

On a trouvé ça bizarre que les commentaires traitent autant de l’application alors que clairement le problème c’est plus que le personnage est un taré !

Et moi, je trouve ça bizarre que vous trouviez ça bizarre. J’espère quand même que vous saviez ce que vous postiez sur youtube, et à quel genre de public vous avez à faire. Je ne vous crois pas assez débutants pour ne pas deviner ce qu’on va percevoir d’une vidéo.

Et puis je crois que finalement le message de cette vidéo est multiple. On y dénonce le viol, le slut-shaming mais aussi l’usage trop irréfléchi des réseaux sociaux, les dangers qu’ils recouvrent, et enfin le pouvoir de l’argent. Cela rend ce film moins lisible (surtout qu’il est très court).

D’ailleurs, les Parasites le disent eux mêmes :

Mais Périscope et cet aspect de la vie privée ne sont pas les seuls sujets de cette vidéo… La vidéo dit tout et son contraire ! On a clairement cherché l’ambiguïté afin d’amener les spectateurs à réfléchir.

(Source des citations des Parasites)

 

Pour finir, je vous conseille l’article de Madmoizelle sur ce court-métrage, qui entre dans les détails de la dénonciation du slut-shaming.

 

Continuez comme ça, les Parasites, mais s’il vous plaît, pensez à l’influence que vous commencez à avoir sur le net et expliquez-vous sur cette vidéo, pour tous ceux qui l’ont mal interprétée.

 

Et finalement, je m’inscris peut-être dans cette ultime citation :

Ce qui est amusant c’est que beaucoup de gens ont plus peur de ce que les autres vont comprendre, et non pas de ce que eux ont compris.

Mais en même temps, je crois aussi qu’on a peur de la première lecture qu’on a tous eu de cette vidéo, et de l’influence qu’a le sexisme ordinaire sur notre façon de percevoir les choses et l’art. Ça fait peur d’être obligé de passer par ce premier ressenti immédiat avant de le réfuter par l’analyse. (Oui, je sais que les filles ne cherchent pas à se faire violer, bien évidemment… Et j’ai beau me le répéter encore et encore, c’est difficile de se défaire de l’idée que ce n’est pas à nous de faire plus attention à nos tenues.) Et dans cette perspective, votre vidéo fonctionne… au bout du compte.

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