So divers

Réquisitoire contre le spoil

Je suis une fervente militante de la no spoiler attitude. Non, ce terme n’existe pas, je viens bel et bien de l’inventer. Mais il devrait.

Si un jour vous croisez au cinéma pendant les bandes-annonce une nana qui ânonne «blablablablabla», les doigts enfoncés dans les oreilles, les yeux fermés à s’en extirper des larmes, la tête enfoncée dans un bonnet triple épaisseur lui-même enfoncé dans le siège, vous pouvez être sûrs que c’est moi. Je déteste les bandes-annonce. Enfin de manière générale, je déteste qu’on me spoile, voilà. (Pour les vieux : spoiler veut dire raconter l’histoire d’un film ou un livre à quelqu’un qui ne la connaît pas)

En même temps, je ne vois pas comment quelqu’un peut aimer ça.

Mettons nous en situation. Si votre meilleur ami vous dit : « Alors ce film si tu veux, c’est l’histoire d’un gars fou amoureux de sa postière, et un jour il scotche aux boîtes aux lettres de son quartier des indices pour qu’elle devine qui il est, mais entre temps il a été mordu par un alien et du coup il développe une double personnalité qui fait qu’il laisse aussi à la postière des lettres de menace. Elle finit par comprendre que c’est lui et en fait on se rend compte que c’est une experte des phénomènes extraterrestres. Voilà. Je te dis pas la fin. Mais tu devrais le voir. » (Quel scénario génial, je devrais en faire un roman, moi.) Est-ce que vous auriez vraiment envie de voir ce film ? Peut-être, mais est-ce qu’à chaque moment vous ne seriez pas dans l’attente de ce fameux moment qu’on vous a raconté quand le héros se casse la gueule dans un portail spatio-temporel ? Et est-ce que cette impatience ne vous empêcherait pas de profiter pleinement du moment ? Si non, alors vous devriez vérifier votre affiliation au genre humain. Non, je déconne, mais sans déconner (mais quelle prose, mais quelle prose) on ne peut pas en tant que personne normalement constituée profiter d’un film de la même façon quand on en connaît déjà une partie ? … Si ?

Bon certes, cet exemple de spoil est un peu extrême mais c’est comme ça que je ressens n’importe quel spoil. Pour moi, la meilleure manière de conseiller un film, c’est de dire : « C’est vraiment bien. Tu devrais le voir. »


Et c’est tout !

 

Pas « c’est drôle. » Pas « c’est émouvant. » Pas « c’est romantique. »

 

Je n’exagère pas ! (Demandez à mes amis, ils sont témoins de mes bouchages d’oreilles intempestifs en pleine conversation mondaine sur le dernier film à succès) A partir du moment où je parle à quelqu’un que j’estime, et à partir du moment où je vois des étoiles dans ses yeux, je suis achetée ! S’il me conseille quelque chose de tout son coeur, pourquoi ne lui ferais-je pas confiance ? Et quand j’ai envie de lire ou de voir quelque chose, je n’ai pas besoin d’assouvir ma curiosité en attendant. Une simple affiche peut me donner envie ! Je vous jure que c’est véridique.

 

J’ai eu cette révélation avec le film « La famille Bélier ». Attention, je vais spoiler, pas trop mais un peu. Ceux qui ne l’ont pas vu et ont eu la chance d’être épargnés par Doc’ Spoil, allez le voir, maintenant, allez ! et revenez lire la suite. Donc, je suis allée voir ce film car j’en ai vu l’affiche qui m’a donné envie pour les deux acteurs que sont Karine Viard et François Damiens. Je n’ai pas cherché à en savoir plus et personne ne m’a renseignée d’ailleurs. J’ai entendu de vagues retours sur le fait que c’était un film sympa, c’est tout.

J’étais donc dans le cinéma, bien confortablement installée dans mon fauteuil (et pas la tête en bas, la partie bande-annonce étant terminée) et je vois à l’écran quatre personnages dans une cuisine, ceux de l’affiche. Bizarre, la mère dit bonjour à sa fille en lui faisant un signe de main, y’a quelque chose qui ne va pas dans cette scène, mais quoi… Et là, tout s’éclaire ! J’étais directement embarquée dans l’histoire quand j’ai eu la révélation du sujet du film ! C’était tout simplement tellement agréable de découvrir le parti pris du réalisateur comme ça, sans avoir été prévenue. Je suis sûre en plus que c’est comme ça qu’il avait envisagé son film : en tant que metteur-en-scène, je sais très bien qu’on espère pouvoir provoquer ce genre d’effet grâce à des décalages scénaristiques inattendus. J’ai donc non seulement pu profiter du film avec des yeux complètement neutres, mais en plus, j’ai honoré le souhait du réalisateur ! Quelle joie ! J’aime procurer de la joie pas vous ? Bon, je divague, m’enfin.

Je me rends compte qu’en fin de compte je n’ai pas réussi à spoiler. C’est au-dessus de mes forces… Désolée pour ceux qui sont allés voir le film et ont dû attendre pour finir mon article. Mais vous avez vu le film, donc l’un dans l’autre, c’est cool.

Voilà. Ceci est mon réquisitoire contre les bandes-annonce. Je veux pouvoir ressentir ça jusqu’à la fin de ma vie : porter un regard tout neuf et inaltéré sur une oeuvre. Autant que possible, je refuse que des gens gâchent mon plaisir. Je veux pouvoir me laisser surprendre par des oeuvres. Je parle ici au nom des gens anti-spoilers qui emmerdent les pro-spoilers en leur demandant de se taire. Comprenez-nous ! S’il vous plaît, si nous vous supplions de nous laisser profiter de quelque chose comme nous l’entendons, de nous laisser avoir la surprise de l’instant, laissez-nous ce plaisir.

Et ne vous vexez pas si on se bouche les oreilles, de grâce !

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