Aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, je joue un de mes propres textes. Il s’appelle Saute, et c’est l’histoire de deux personnes qui s’aiment trop et pas assez à la fois.
J’ai la chance d’être accompagnée dans cette aventure par une comédienne bourrée de talent. Elle me gueule dessus parce que je me trompe dans les répliques et qu’il faut prendre soin du texte. Le comble, quoi : je suis l’auteur et je me fais taper sur les doigts parce que je ne respecte pas assez mon écriture.
Elle a raison de me reprendre, la sagouine. Il faut apprendre à se faire confiance. Le texte est important. It matters. L’auteur, en l’occurrence, moi, n’a rien écrit par hasard. S’autoriser du laxisme c’est croire que n’importe quel mot remplace n’importe quel autre… C’est faux.
Le travail d’auteur et le travail de comédien sont deux disciplines différentes ; il ne faut pas tout mélanger. Bien sûr, jouer mon texte me permet de l’entendre et de le retravailler pour qu’il soit le plus juste possible, mais je n’ai pas le droit, au moment où je fais mon travail de comédienne, d’improviser mes répliques au nom de mon statut d’auteur et de changer le texte sur le coup, parce que cela me chante. Je n’ai pas le droit de prendre le texte à la légère sous prétexte que c’est moi qui l’ai écrit. Si je veux être prise au sérieux, je dois me prendre au sérieux d’abord. Bien entendu, c’est difficile de se dire qu’on a autant de légitimité que n’importe qui. Non, je ne peux pas me mesurer à Molière ou Camus ou… Mais en fait, c’est le danger : se comparer. Bien sûr que c’est incomparable, et ça le restera toujours. On ne peut pas se comparer avec des monuments qui sont d’une autre époque, d’un autre temps. Notre langage a changé, notre réalité a changé. Mais il n’y a pas de raison pour que je n’arrive pas, avec mes mots, à déclencher de vraies émotions chez les acteurs et les spectateurs, comme les grands textes reconnus universellement le font. Il faut se faire confiance.
Le sentiment je crois le plus incroyable, c’est quand quelqu’un – dans mon cas, la comédienne qui joue avec moi – t’explique ton texte et te montre que ça dit des choses que tu n’avais pas vues toi-mêmes. Mais elles sont là, c’est indéniable, elles sont écrites. Comment après ça ne pas croire à la dimension magique de l’écriture ? Les mots nous dépassent et sont bien au-dessus de nous. Finalement nous, écrivains, ne sommes-nous pas que d’humbles hôtes dans lesquels les muses se réfugient un court instant pour s’exprimer à travers nous ?