So critique

Jeu de rôle – La psychanalyse à petit prix

Préparez-vous à entrer dans le royaume des rôlistes pour découvrir un jeu extraordinaire, Les Cordes Sensibles, coécrit par Frédéric Sintes et Magali Coulombié.
Bon, pour l’instant il n’est pas encore publié, mais ça ne va pas tarder, et j’ai eu l’honneur de pouvoir y jouer plusieurs fois avant parution, dont une fois avec Frédéric Sintes lui-même.

 

Pour mes lecteurs pas trop habitués au jeu de rôle, je vais vous en dresser un portrait tel que je le comprends.

Le jeu de rôle, c’est avant tout une manière de raconter des histoires, plus ou moins dirigées par un scénario qui en dresse la colonne vertébrale.

  • Les joueurs commencent par définir les personnages : parfois, ils sont prévus par le scénario, parfois suggérés, parfois laissés totalement libres – cette dernière option est celle choisie dans les Cordes Sensibles (LCS) – et ces personnages vont commencer à évoluer dans l’univers du jeu, en général pour accomplir un objectif (qui peut aller de « devenir Roi » à « conclure avec l’élu de son coeur »)
  • Souvent, il y a un maître du jeu (MJ) qui introduit de nouveaux éléments à l’histoire, pour que celle-ci soit pleine de rebondissements. Ici encore, le maître du jeu est plus ou moins présent. Dans certains jeux, il intervient à chaque proposition des joueurs, dans d’autres les laisse évoluer librement puis au moment de son choix les confronte au prochain obstacle (conflit) du scénario, et dans d’autres, comme LCS, chaque joueur devient tour à tour MJ (autrement dit, il n’y a pas de MJ).
  • Souvent, il y a des dés (ou autre mécanique, qu’on appelle système de jeu), qui permettent au MJ de dire aux joueurs si leur action est couronnée de succès (« tu as fait 6 avec tes dés, tu n’arrives pas à grimper par dessus le mur parce qu’il te fallait au moins 7 »), et parfois, le MJ décide sans dés de si tu as réussi ou non (« Tu n’es pas assez fort physiquement pour monter le mur car tu n’as pas dormi depuis plusieurs jours, donc tu échoues »). Dans LCS, le système à base de cartes à jouer permet de résoudre un conflit, mais le joueur peut dans tous les cas décider de remporter le conflit s’il le veut.

 

Vous pouvez d’ores et déjà voir que LCS est un jeu qui se place plutôt du côté libéré de la force, si on devait créer des barèmes.

LCS

(Oui, c’est moi qui ait fait ce dessin très moche. Ca m’amusait.)

 

Personnellement, je ne suis pas forcément pro système de jeu, mais dans le cas de LCS, le système est à la fois nécessaire, puisqu’il n’y a pas vraiment de MJ, et adapté, parce qu’il laisse aux joueurs une certaine emprise sur le déroulement des événements.

Mais je ne détaillerai pas le système ici, car je voudrais surtout vous parler de l’essence du jeu. C’est un jeu qui part d’un concept très simple : résoudre un problème. On commence par la création des personnages, phase qui peut durer un bon moment. Elle consiste avant tout à définir le problème de son personnage, d’abord assez grossièrement (ex : « Elle a peur de ne plus être aimée », « Elle a transgressé un interdit » etc.) puis dans le détail (plus aimée par qui, quel interdit, etc.) et enfin sous forme de question (ex : « Serai-je capable de reparler à mon père ? ») Ensuite, on nomme son personnage, lui attribue quelques traits. Chaque personnage a un lien avec les autres PJ (personnages joueur).

Le déroulement du jeu consiste en une alternance de scènes d’exposition (le personnage est seul et pense ou se remémore des scènes passées) et de scènes de développement (les autres joueurs proposent une situation et le PJ joue la scène avec les autres joueurs qui, à tour de rôle, vont incarner les autres personnages présents). Il n’y a donc pas de scénario préétabli : il se construit petit à petit, en fonction du problème de chaque personnage, et chaque joueur peut tour à tour imaginer des situations auxquelles il veut que soient confrontés les autres personnages.

L’essence du jeu est de s’impliquer émotionnellement dans son personnage, et de choisir un problème qui nous tient à cœur ; soit parce qu’on y est soi-même confronté, soit parce que quelqu’un qu’on connaît y est confronté, soit parce qu’on est ému par ce problème et qu’on a envie de mieux le comprendre. F. Sintes explique que chaque joueur doit accepter de se dévoiler, sinon le jeu manque d’équilibre et provoque un malaise. Comme si tout le monde dans une pièce acceptait de se déshabiller sauf une personne, qui se retrouve donc dans une position de voyeur. L’équilibre du jeu dépend donc du respect entre les joueurs pour permettre de créer un « safe space », comme disent les américains, qui sera l’environnement propice à l’introspection.

C’est bien là que je vois une dimension psychanalytique : Si le joueur choisit un problème qui est le sien dans la vie, il va essayer trouver une solution à ses blocages, et les autres joueurs, souvent sans le savoir, vont à travers les scènes qu’ils lui proposent, lui permettre d’aborder le problème différemment, de prendre du recul ; si le joueur choisit un problème qui concerne quelqu’un de son entourage ou un problème qui l’émeut, cela lui permettra d’entrer en empathie avec les gens qui vivent ces situations problématiques et d’améliorer son rapport au monde. Bien sûr, dans ce deuxième cas de figure, on ne peut pas échapper à ses aprioris sur le problème à travers le prisme de ses valeurs ; mais dans le jeu de rôle, on part toujours dans l’optique de ne pas juger son personnage, de l’accepter comme il est, et de l’aimer le temps de la partie. Si on joue un dictateur, il ne s’agit pas de le jouer de manière caricaturale, mais de réellement entrer dans une nouvelle façon de penser. Cela permettra, une fois la partie terminée, d’avoir vécu une réelle expérience d’identification, et de pouvoir prendre à posteriori le recul nécessaire pour mieux comprendre des individus très différents de nous. (sans pour autant les excuser ou les aimer.)

Je crois réellement que le jeu de rôle peut changer notre rapport au monde. Toute expérience, toute rencontre peut changer notre rapport au monde ; mais le jeu de rôle nous oblige à accueillir tout entier une nouvelle façon de voir, et à nous laisser impacter par notre personnage le temps de la partie. Il n’y a aucun intérêt (en tout cas de mon point de vue, et je sais que certains de mes amis rôlistes ne sont pas d’accord) à jouer une partie de jeu de rôle en ayant une indifférence profonde de ce qu’il adviendra de son personnage.

C’est pour cela que pour moi LCS est le jeu de rôle ultime. Celui qui permet de créer des histoires en acceptant de se laisser transformer par le jeu. C’est un des premiers jeux auxquels j’ai joué et ça a forgé ma manière d’appréhender de jeu de rôle.

LCS est un jeu que je conseille à toute personne qui se sent prête à fouiller un peu d’elle-même et à découvrir des choses dont elle n’a pas conscience sur elle-même. Il permet de travailler son empathie, sa tolérance et son ouverture, que ce soit à travers son problème mais aussi les problèmes des autres ! qui parfois traduisent des points de vue, des préoccupations bien différentes des siennes.

LCS m’inspire également énormément dans ma vie d’actrice et d’aspirante metteuse-en-scène. J’aimerais beaucoup me servir de ce jeu pour explorer les personnages d’une pièce de manière totalement inédite, un mélange entre le travail de table et le travail d’impro, où les acteurs apprennent à connaître leur personnage en profondeur, avec générosité et empathie, car la règle numéro 1 au théâtre est de ne jamais juger son personnage.

Illu article LCS

 

Et plus globalement, peut-être que ce jeu pourrait permettre tout simplement de mieux aimer les gens autour de soi ?

Je vous conseille vivement de suivre ou de contacter Frédéric Sintes (qui se charge de la com) si cet article vous a intéressés, et je serais ravie de débattre avec vous de la fonction du jeu de rôle en commentaire ou ailleurs.

 

 

Contact de Frédéric Sintes :

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