Aujourd’hui, l’industrie du cinéma (ou des séries) ne prend plus de risques sur ses scénarios. N’assume rien à fond. N’ose pas aller au bout. Pourtant, nous, les spectateurs, on est prêts. On attend tous des scénarios qui révolutionnent les histoires, qui renouvellent notre façon d’envisager le monde… Pas juste des bonnes idées, mais des bonnes idées bien travaillées, pleinement assumées. C’est exactement la frustration que j’ai ressentie devant Passengers. Une bonne idée… mais traitée en surface, de peur de trop chambouler le spectateur peut-être. Le film se retrouve sur des pistes glissantes sans le vouloir, en croyant rester bon enfant, en se contentant de dessiner une idée, en se disant que les critiques y trouveront le message que l’on voulait faire passer… Mais on ne peut pas se contenter de sous-entendre un message. Il faut s’y confronter, se salir un peu, et oser montrer qu’une histoire n’a pas forcément besoin de héros.
Attention : Cet article traite du film Passengers, sorti en salles fin 2016. Je vous conseille de l’avoir vu ou d’avoir lu un résumé de l’histoire pour apprécier au mieux cette critique.
Taillons dans le vif : Quelle bonne idée, ce film…
Dommage que ça n’en soit resté que là. Le début est pas mal, si ce n’est que les chocs de météorites, certes spectaculaires (au niveau graphique, le film aura réussi son coup), annoncent déjà une première incohérence difficile à surmonter. Dans quel monde une entreprise prendrait-elle le moindre risque en termes de sécurité sur un voyage aussi long et complexe ? On se retrouve face à une brèche dans la paroi du vaisseau, et il n’est prévu aucun système d’alerte qui réveille l’équipage – accompagné bien sûr d’un mécanisme qui permet de se replonger en hibernation ? Ce scénario est par bien des aspects très paresseux… Pour le spectacle et le spectateur, on s’amuse à mettre en scène une machine qui gueule des alertes dans le vide, puisqu’il n’est pas prévu que qui que ce soit se réveille pour les entendre.
Passons sur toute la partie où Jim erre dans le vaisseau. Très intéressant, mais un peu survolé, dommage. On aurait aimé plus de moments « Seul au monde ».
Puis arrive le moment où Jim voit une belle femme (sa seule motivation à en savoir plus sur elle, c’est son apparence, quand même…) Et il se demande s’il va la réveiller. Là encore, j’aurais aimé un peu plus de débat intérieur. Il sait que ça serait mal, mais jamais il ne dit pourquoi ça serait mal. J’aurais aimé plonger au cœur de ses hésitations.
Finalement il la réveille, début de romance…
Et puis à partir de là, je ne vais plus résumer parce que pour moi il n’y a quasiment plus rien à garder.
Voici donc ma version résumée de ce qui selon moi aurait fait de Passengers le chef-d’œuvre qu’il aurait dû être. J’ai choisi, plutôt que de lister les éléments que j’aurais aimé changer, de raconter l’histoire telle que j’aurais aimé la découvrir.
***
Un dysfonctionnement, tout simplement. Qui ne pouvait pas se produire. Qui ne s’était jamais produit auparavant. Ni en phase de test, ni lors des voyages précédents. Un dysfonctionnement tellement improbable que l’ordinateur n’était pas programmé pour le détecter – que les systèmes de sécurité ne se sont pas emballés et n’ont pas réveillé le staff. Les constructeurs étaient sûrs que ce genre de dysfonctionnement ne pouvait pas arriver.
Quand Jim s’est réveillé, il n’a pas compris tout de suite. Il ne restait que 4 mois de voyage mais alors pourquoi les autres voyageurs ne se réveillaient-ils pas ? Pourquoi le vaisseau entier semblait endormi, mis à part le programme informatique qui l’avait accueilli à son réveil ? Les bornes d’informations étaient inactives, les ordinateurs de bord ne fonctionnaient pas.
Les premiers jours de son réveil, Jim s’est demandé pourquoi les autres ne se réveillaient pas. Il a fouillé le vaisseau de long en large en criant comme un forcené, sans réponse. Il a passé des heures à chercher le sommeil sur son lit classe économique, dans sa cabine.
Par un heureux hasard, Jim est mécanicien – c’est d’ailleurs pour ça qu’il a été admis à bord du vaisseau, à bas prix. Il a récupéré sa caisse à outils dans sa cabine, qu’il a emportée pour forcer d’autres cabines et essayer de trouver des gens. Le vaisseau était décidément vide.
Son deuxième réflexe a été de récupérer de la nourriture. Il a dû démonter l’arrière des machines qui devaient pouvoir le ravitailler, pour les mettre en route manuellement, puisqu’elles étaient elles aussi éteintes. Il a fini par comprendre qu’il s’est réveillé trop tôt quand un ordinateur qu’il a allumé lui a indiqué qu’il avait encore 90 ans de voyage avant d’atteindre Homestead II. Il a alors cherché à se remettre en hibernation, mais n’a trouvé aucun moyen de se rendormir, et a tiré la conclusion que le matériel pour replonger en hibernation se trouvait dans les zones dont il n’avait pas l’accès.
Il a aussi trouvé des androïdes qui attendaient patiemment qu’on les initialise pour servir les passagers. Il en a choisi un, celui qui lui semblait le plus sympathique. Il l’a allumé. Le robot, Arthur, lui a apporté du confort, puisqu’il parlait presque comme un humain. Jim a réussi à s’illusionner ainsi pendant plusieurs mois, sans se rendre compte que petit à petit il ne prenait plus soin de rien. Il ne s’habillait même plus, passait des jours dans son lit ou au bar avec l’androïde, à boire de l’alcool. Au début, il faisait du sport puis il s’est dit que puisque de toute façon il allait mourir seul, ça ne servait à rien d’entretenir sa forme pour vivre plus longtemps. Il a pensé au suicide, bien sûr. De temps en temps, il avait un regain d’énergie et recommençait à essayer d’ouvrir la zone où étaient enfermés les modules du staff ainsi que les manuels de fonctionnement du vaisseau, mais la porte était blindée et il n’y avait décidément rien à faire.
Un jour, Arthur dit quelque chose d’un peu étrange, et d’un coup Jim se rappelle qu’Arthur est un robot. Une idée germe. Petit à petit, il se met de plus en plus à s’exaspérer des remarques du robot, même quand elles sont absolument banales, en lui disant qu’un humain n’aurait jamais dit ça. Petit à petit, il s’éloigne d’Arthur et se retrouve de plus en plus souvent dans la salle des modules des passagers. Il circule entre les corps endormis en racontant sa vie ou en imaginant la leur. Puis il déniche sur un ordinateur les dossiers des passagers. Il passe alors des heures entières à lire les histoires des passagers endormis, à regarder leurs vidéos de présentation. Il se met à rêver que tout le monde se réveille.
Il commence à se faire peur lui-même. Un dossier en particulier le fascine : Aurora, une jeune auteur, belle, drôle, intelligente. Il a l’impression de la connaître depuis toujours. Il retourne voir Arthur, et lui confie qu’il a peur de faire une bêtise ; réveiller Aurora. Il avoue à Arthur avoir étudié son propre module et être capable de le faire. Malheureusement, il ne trouve pas en Arthur le garde-fou qu’il aurait aimé trouver, car Arthur ne comprend pas quel problème ça pose de réveiller Aurora. Après tout, il n’est qu’un robot… Jim ne se supporte plus de ressentir cette obsession pour Aurora. Il va même jusqu’à se taper la tête contre les murs où à se brûler plus ou moins involontairement au chalumeau pour ressentir quelque chose. Il veut même se jeter dans l’espace sans combinaison, mais le système de sécurité l’empêche d’ouvrir la porte.
Puis un jour, après avoir trop bu, il passe le cap. Il réveille Aurora. A peine le module de la jeune femme ouvert, il s’enfuit vers sa cabine sans qu’elle ne le voie et s’enferme, pris de remords. Il n’en sort que quelques jours plus tard, pour manger, mais malgré ses efforts de discrétion, n’arrive pas à éviter la jeune femme. Quand Aurora le voit, elle voit d’abord sa barbe et son piteux état. Heureusement, il est sobre depuis trois jours, et il est propre. Il peut donc lui parler normalement et il se sent instantanément revivre. Elle lui demande depuis combien de temps il est réveillé, il lui dit qu’il ne sait pas, longtemps, et qu’il est désolée pour elle que son module se soit ouvert mais qu’il est tellement soulagé d’avoir de la compagnie. Petit à petit, elle aide Jim à reprendre goût à la vie. Ensemble, ils profitent du confort du vaisseau, de la piscine avec vue sur la galaxie. Il se rase pour la première fois depuis plus d’un an. Il l’emmène faire une excursion à l’extérieur du vaisseau. Il lui présente Arthur, à qui il a fait promettre de ne rien dire sur son secret. Ils se confient leurs secrets.
Par la force des choses, ils tombent amoureux. Un jour, sur l’oreiller, Aurora dit « c’est fou la chance qu’on a dans notre malheur, sur 5000 passagers, deux se réveillent, un homme et une femme, du même âge… on aurait pu tomber plus mal ». Jim se tait.
Un autre jour, Aurora dit « tu as été tellement courageux, vivre un an seul… Je crois que si j’avais été à ta place j’aurais à tout prix essayé de réveiller quelqu’un. » Jim se tait. Et là elle comprend. Elle le regarde et elle voit dans ses yeux pourquoi elle avait tant de chance d’être dans ses bras à lui. « C’est toi qui m’a réveillée. »
Elle s’enfuit. Elle va à l’autre bout du vaisseau, s’enferme dans une cabine que Jim avait ouverte il y a bien longtemps. Elle reste à pleurer. Elle se sent salie. Violée. Cet homme lui a volé sa vie. Lui a menti sur toute la ligne. Il s’est servi d’elle. Pour lui, elle n’est qu’un objet.
Bien sûr que ce n’est pas ce que ressent Jim. Il sait qu’il a été profondément égoïste mais… Il est tombé amoureux de cette femme en lisant son dossier, en regardant sa vidéo de présentation, en se plongeant dans les romans qu’elle a écrits. Il se sentait à bout de souffle, à bout de force et elle lui a redonné la vie. Il vient souvent à sa porte lui raconter qu’il s’en veut, mais qu’il l’aime et n’a pas réussi à se passer d’elle, qu’il a essayé de résister.
Un jour ils se croisent à la cafétéria. Aurora se rue sur lui et le frappe de toutes ses forces, elle lui fait mal. Il se laisse faire. Il ressent tout ce qu’il lui a coûté. Tout ce qu’elle n’aura jamais.
Et elle lui demande pourquoi il lui a fait ça. Que s’il l’aimait, il aurait dû vouloir son bonheur à elle. Et puis elle attrape un couteau, un bout de n’importe quoi, quelque chose de coupant, peu importe, et elle le frappe de toutes ses forces, partout où elle peut. Dans la poitrine, surtout. Comme si elle voulait faire sortir son cœur. Il tombe. Sans un cri, juste en la regardant, profondément meurtri de l’avoir détruite. Elle s’arrête de le frapper et s’effondre en larmes sur lui, l’embrasse, lui demande de revenir. Mais c’est trop tard.
Voilà un exemple de ce qu’aurait pu être Passengers. Un conte de la faiblesse et de la conscience humaine. Une histoire d’horreur mêlée à une histoire d’amour. Quelqu’un qui ne sait pas quoi faire face à l’injustice du destin et qui se demande pourquoi lui. Et un film qui nous fait nous demander « Moi, j’aurais fait quoi ? ».